Les peintures et les schémas présents sur le site ne sont pas signés mais j’en suis l’auteure. La photographie sur cette page est prise par Aliénor Zimmermann.
Coradanse est un projet auquel je me consacre depuis plusieurs années, à commencer par mes études de philosophie et ma formation de trois années en accompagnement psychocorporel en Belgique (école Atmaram). Je suis aujourd’hui à la fois doctorante en philosophie avec une concentration en études féministes à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et massothérapeute agréée par la Fédération Québécoise des Massothérapeutes.
J’ai commencé à me former en accompagnement psychocorporel à l’âge de 19 ans pour garder un contact avec ma sensibilité (mes sensations corporelles) tout en débutant l’université en philosophie (Lille-France, Bruxelles-Belgique). J’avais la chance de pouvoir me lancer dans des études et j’hésitais entre la philosophie et la psychologie. Je voulais comprendre cette si grande importance que nous accordons aux idées et aux concepts. Des idées comme celles du corps ou de l’esprit auxquelles nous devons toujours nous référer aujourd’hui. Je me demandais, pourquoi, en tant qu’êtres humains privilégions-nous certaines idées à travers lesquelles se comprendre en tant que communauté d’êtres vivants, pensants ?
Assise toute la journée devant des livres, ou plus discrètement sur le banc d’un amphithéâtre en écoutant les enseignant-es au-devant moi, j’ai eu peur de perdre le lien à mon corps, à ce lieu sensible, émotionnel, physique, mental et même spirituel à partir duquel mon intérêt philosophique grandissait. J’ai donc commencé une formation de trois ans en accompagnement psychocorporel au début de ma deuxième année de licence, ou bachelier, en philosophie à Bruxelles. Je proposais alors à mes camarades universitaires des séances de soin en leur expliquant que l’écoute du corps, à travers le touché conscient du massage californien, nous permet d’asseoir nos pensées, nos doutes, nos préoccupations et surtout nos envies profondes. Ce temps simple et sécuritaire est une occasion d’aller voir et de rencontrer ce qu’il se passe au-dedans de soi, de se plonger au centre de cet organisme, et grâce à cet ancrage, de créer sa propre route au moment où nous débutions ce parcours universitaire et étudiant. Cet âge où, universitaires ou non-universitaires, nous commençons à poser des choix en prévision de ce que nous voulons devenir professionnellement et humainement.
Au cours de cette formation en psychocorporel, j’ai pu devenir assistante des étudiant-es en première année lorsque je faisais moi-même ma troisième année de formation. Je débutais alors ma dernière année de licence ou de bachelier. J’aboutissais à la fin d’une étape dans chacun de ces domaines (psychocorporel et philosophie). L’expérience d’assistanat a été très riche pour moi. Tout en continuant de travailler avec le même groupe dans ma troisième année, je découvrais un nouveau groupe, celui des premières années, avec un rôle intermédiaire entre les étudiant-es et les enseignant-es. Nous étions deux assistantes et nous nous épaulions beaucoup. Nous devions être disponibles pour les enseignant-es, tout autant que pour les étudiant-es et leur processus d’apprentissage pendant une première année de découverte de leurs défenses, de leurs blessures émotionnelles et du développement de leur savoir-faire concernant le massage et l’entretien de séance. En une année, j’ai pu observer des personnes transformer leur rapport à iels-mêmes à travers des changements physiques comme la teinte de la peau, l’ouverture dans le regard, le redressement du dos, de la colonne vertébrale ou bien le relâchement des épaules. J’étais très touchée d’accompagner sur une année entière ces personnes et d’accueillir avec iels l’histoire de cette « vie incarnée » (physique, émotionnelle, mentale et spirituelle). Je n’avais pas ce même recul avec le groupe dans lequel j’étais moi-même étudiante, puisque nous progressions ensemble graduellement.
À partir de ces expériences, j’ai voulu mettre ma recherche en philosophie au service de cette richesse somatique, de ce corps relié à l’esprit, au cœur et au ventre; de ce corps relié à un imaginaire et à des compréhensions profondes et entières qui émergent parfois pendant une séance où le corps et l’intellectuel se rejoignent, se réconcilient.
Je ne savais pas comment parler de ma pratique en massothérapie dans mes recherches en philosophie. J’ai alors décidé d’emprunter le chemin de la danse et de défendre l’importance du corps à l’aide de cet art que l’on définit également parfois comme un sport. J’ai toujours aimé danser. Avant de commencer à me former dans le soin avec le toucher, je me servais de la danse pour laisser sortir les émotions qui m’avaient traversées dans la journée et que je n’avais pas pu intégrer. Je me servais de ce moment pour accueillir tout ce que je n’avais pas pu écouter depuis que je m’étais levée le matin. Je prenais le temps dont j’avais besoin pour laisser émerger le mouvement avec de la musique ou bien à l’aide de ma respiration. Je déplaçais tous les meubles que je pouvais bouger avec mon petit corps, pour que ce dernier puisse prendre enfin toute la place, tout l’espace dont il avait besoin pour exprimer cette immensité intérieure. Je m’ancrais, je me sentais vibrante, vivante, parfois démunie, prise par une tristesse inconsolable ou d’une rage que j’essayais tant bien que mal de mettre en mouvement.
J’ai donc attendu la fin de ma maitrise en philosophie, ou de mon master, pour commencer à évoquer ma pratique en massothérapie. Dans cette recherche de master, j’interrogeais le rôle du corps dans le savoir : Est-il un objet à connaitre ou bien est-il lui-même détenteur d’un savoir qui lui est propre ? Grâce à la phénoménologie, les sciences cognitives et certaines études féministes, j’ai terminé ce mémoire avec la conviction que le savoir incarné méritait d’être reconnu (déjà reconnu dans certains domaines). En essayant de comprendre la division entre le corps et l’esprit, j’ai retrouvé cette première question qui me préoccupait au début de mes études : Pourquoi accordons-nous autant d’importance aux idées pour se comprendre nous-mêmes et notre communauté d’êtres vivants, pensants ?
Cette division corps-esprit n’a pas toujours été présente et récemment, le terme de soma propose une compréhension de la personne dotée d’une conscience corporelle. Cela fait maintenant plusieurs années que Thomas Hannah a introduit ce terme et ce dernier est utilisé dans diverses pratiques dont l’éducation somatique. Ma recherche actuelle se concentre sur ce terme d’éducation somatique, utile aux trois domaines (philosophie, danse et massothérapie).
En philosophie, Richard Shusterman s’est beaucoup intéressé à cette pratique tout comme John Dewey. En danse, l’éducation somatique s’est développée pour éviter les blessures et une fatigue intense grâce à une meilleure écoute du corps. En massothérapie, nous parlons peu de soma, mais plutôt de corps, ou bien d’une compréhension holistique du corps qui inclut son aspect physique-émotionnel-mental-spirituel. Ce qui est intéressant à noter, est que les pionniers et pionnières de l’éducation somatique (Mabel Elsworth Todd, François Delsartes, Moshe Feldenkreis ou encore F. M. Alexander) ont été soit directement impacté-es par un accident physique, soit engagé-es dans un emploi pour accompagner des personnes ayant des mobilités réduites (Bonnie Bainbridge Cohen, Emilie Conrad). Chacune de ces personnes a observé et exploré le corps dans son ensemble, afin de trouver une autre manière de réaliser ce qu’elles souhaitaient (le chant, la danse, la rééducation, le travail postural). Le domaine du soin, auquel appartient la massothérapie, est donc pleinement concerné par l’éducation somatique. C’est au croisement de ces trois domaines (philosophie, massothérapie et danse en tant que pratiques somatiques) que ma recherche de doctorat se développe.